
Écoles de la science au service de la paix
Thème 1 – Planification des grands défis scientifiques
Intervenant : Dr Markus Nordberg (Chef du département Développement des ressources, Développement et Innovation du CERN)
Les expériences scientifiques :
Le Dr M. Nordberg (CERN) explique que les expériences scientifiques sont généralement planifiées et exécutées dans des circonstances très spécifiques. Quatre critères essentiels doivent être satisfaits.
Premièrement, de nouvelles expériences peuvent être menées lorsque les principaux objectifs des expériences en cours ont été atteints ou lorsque leur potentiel de découverte est en déclin. Il est normal que le rythme des nouvelles connaissances et des découvertes ralentisse au cours du cycle de vie d’une expérience. Il se peut tôt ou tard que les travaux ou les efforts supplémentaires n’aboutissent pas à certains résultats ou ne permettent pas d’obtenir le retour sur investissement escompté.
Deuxièmement, il est essentiel que les scientifiques aient la possibilité de rêver et d’envisager de nouvelles idées. Le rêve est le lien qui unit la recherche et les avancées scientifiques.
Troisièmement, il doit y avoir suffisamment d’opportunités, non seulement dans le domaine scientifique, mais aussi dans le contexte géopolitique plus général. Il existe un dialogue permanent entre la science et la politique, que les Écoles au service de la paix contribueront à mettre en lumière.
Quatrièmement, une tolérance à l’égard des activités de recherche est essentielle. Dans le cadre d’expériences, la tolérance fait référence à des personnes qui travaillent ensemble parce qu’elles partagent la même passion pour la science. Il est important que les gens soient prêts à travailler ensemble, même s’ils ne partagent pas nécessairement les mêmes idées, voire ne s’apprécient pas. Être en désaccord avec ses collègues est une richesse. On pense souvent que les bonnes relations de collaboration sont le fait de personnes qui partagent régulièrement les mêmes points de vue. Une telle évaluation est fondamentalement incorrecte. Le succès ne peut être au rendez-vous si tout le monde est d’accord. Pour agir avec audace dans des domaines où les résultats ne sont pas clairement définis, la diversité est la pierre angulaire de la collaboration, et il est essentiel d’accepter la passion et le but de toutes les personnes impliquées.
Les scientifiques ne peuvent prédire l’avenir :
Afin de planifier des expériences, le rêve ou l’objectif commun doit être formulé de manière à pouvoir être mesuré par rapport aux objectifs et aux calendriers de réalisation. En dehors de la communauté scientifique, il est communément admis que le succès en sciences se réfère exclusivement à des questions binaires oui/non ou à des vérités finies. Or, ces perceptions sont inexactes. En sciences, les résultats sont plus souvent mesurés sur un spectre ou une échelle. Il est important que chacun convienne des mêmes méthodes de mesure ou d’articulation. Les objectifs de la physique sont exprimés de différentes manières et tournent généralement autour de questions telles que la raison de l’existence d’une chose ou la raison pour laquelle une chose se produit d’une certaine façon. Pour des domaines plus spécifiques, il y a un changement dans la ligne de conduite qui se concentre sur la question de savoir si quelque chose existe réellement. Dans le contexte de la particule élémentaire du boson de Higgs, des questions sont posées sur son existence il y a environ 60 ans. Il a finalement été découvert en 2012. Lorsqu’il s’agit de formuler et de convenir d’un objectif commun, il est important d’éviter d’être trop précis et de laisser suffisamment de place à la sérendipité ou à l’ambiguïté. Ces deux concepts sont particulièrement puissants s’ils sont soigneusement entretenus. Les scientifiques ne peuvent pas prédire
l’avenir ; il est essentiel qu’ils soient à l’aise avec la perspective d’être incertains. La sérendipité ne doit pas être comprise comme le fait de ne pas savoir ce qui se passe, mais plutôt comme l’incapacité de prévoir un résultat spécifique à l’avance.
Les collaborations entre scientifiques se forment naturellement :
Les collaborations entre scientifiques se constituent généralement par elles-mêmes, parfois même à partir de conversations lors d’un déjeuner à la cafétéria du CERN, et adoptent une approche ascendante. Les meilleures collaborations naissent d’un groupe d’individus passionnés qui contribuent à la réalisation d’un rêve axé sur un objectif spécifique. Il encourage les participants au programme des Écoles de la science au service de la paix à parler aux scientifiques à la cafétéria et à engager la conversation pour découvrir leur passion, leur dévouement et leur enthousiasme pour la recherche. Le protocole d’accord, qui définit l’investissement initial, la base des structures du projet et la relation globale, est un outil utile pour officialiser des collaborations entre les partenaires. Le protocole d’accord définit également la nature des résultats attendus, la reconnaissance des contributions et la manière dont les ressources sont utilisées et communiquées. La notion de résultats attendus est particulièrement importante, car elle permet à chaque institution participante de convenir de sa contribution individuelle mesurable. Les relations avec le laboratoire hôte, ainsi que son implication et son soutien, sont particulièrement importantes en termes d’encadrement administratif et de mécanismes de notification. Il est essentiel de convenir des procédures à suivre pour résoudre les problèmes, tant techniques qu’administratifs, pour diffuser les informations dans le cadre de la collaboration et pour engager le dialogue avec les différentes parties le cas échéant. La prospective est nécessaire pour planifier le moment où les problèmes surviendront et la manière dont ils seront traités. Le plus souvent, il faut des années, voire des décennies, pour élaborer et mettre en œuvre des protocoles d’accord.
Des décisions scientifiques démocratiques grâce à une représentation équitable des idées :
Pour que les expériences se déroulent de manière efficace, il est important de parvenir à un consensus, afin que toutes les parties se sentent à l’aise avant de commencer. Chacun a la possibilité d’influencer les décisions par le biais d’une représentation égale ou de mécanismes de vote. La transparence est un principe clé, de même que la compréhension collective du fait que les expériences ne fonctionneront pas si chaque partie ne contribue pas comme il se doit. Il existe une approche généreuse d’une réussite partagée. Toute personne participant à une expérience, si modeste soit-elle, verra son nom apparaître dans la revue scientifique qui sera publiée. Dans bien des cas, cette approche permet de faire figurer des milliers de noms dans un seul article scientifique. Il est compréhensible que des procédures rigoureuses soient suivies en interne pour s’assurer que ce qui a été découvert est correct et que tout le monde peut s’entendre sur des données vérifiables. Ces procédures et comités garantissent un suivi minutieux et permettent aux organismes de financement de comprendre comment leurs contributions financières sont dépensées.
Règles applicables aux expériences :
Il existe cinq règles simples applicables aux expériences : 1) permettre aux gens de rêver ; 2) accepter la diversité ; 3) utiliser une approche ascendante avec des dirigeants élus sur la base de la compétence technique, de la crédibilité et de la confiance ; 4) travailler dans un esprit de collaboration et entretenir une concurrence amicale ; et 5) remettre en question et justifier tous les aspects en utilisant des preuves expérimentales pour parvenir à un accord.
L’expérience du CERN a montré qu’il y a des enseignements à tirer pour l’avenir. En fin de compte, des collaborations et des expériences à grande échelle peuvent avoir lieu, mais la qualité des idées nouvelles, la disponibilité des technologies et des ressources, ainsi que la situation géopolitique, sont fondamentales. Il serait souhaitable d’accorder une plus grande attention aux effets de l’incertitude économique et de veiller à ce que des plans d’urgence soient mis en place. Le modèle du CERN peut certainement être reproduit. Les meilleurs contextes à cet égard seront les relations fondées sur la science ouverte ou l’innovation ouverte impliquant des entreprises complexes de grande envergure, où le rapport risque-bénéfice est élevé, où une approche collaborative est nécessaire et où il est impossible de définir toutes les étapes à l’avance.