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Thème 2 – Comment les technologies du CERN se frayent un chemin dans la société

Intervenant : Dr Han Hubert Dols (Chef du département Développement des entreprises et Entrepreneuriat du CERN)

 

Le CERN : un incubateur d’idées et un accélérateur d’inventions :

 

Le Dr H.H. Dols (CERN) dit que l’on croit souvent à tort que les membres du personnel du CERN ont une formation en physique. Un large éventail de domaines technologiques et d’ingénierie est représenté, notamment le soudage, l’électronique, la programmation, la robotique et l’automatisation. Les travaux menés au CERN ont inspiré le développement de nombreuses technologies révolutionnaires qui se sont imposées dans la société, telles que le World Wide Web, la souris trackball et l’écran tactile. Le CERN s’efforce donc d’accélérer ces innovations et ces avancées. Il semble que les technologies du CERN sont à même de soutenir le développement et de stimuler l’innovation dans ces domaines, et de répondre à de nombreux défis actuels de la société.
 

Les collaborations se produisent souvent par coïncidence ou par sérendipité. Pour faciliter les connexions stratégiques, favoriser l’engagement et assurer une plus grande fréquence des collaborations, le CERN a pris de nombreuses mesures au sein de son réseau. Premièrement, de nombreuses conférences et manifestations sont organisées de manière proactive avec des acteurs industriels lorsque l’on estime que les technologies du CERN peuvent apporter des avantages substantiels. Deuxièmement, la propriété intellectuelle est gérée avec soin afin d’établir des indications claires sur les droits de propriété. Troisièmement, la quasi-totalité des logiciels utilisés au sein de l’Organisation sont à accès libre. Enfin, un soutien est apporté au personnel qui souhaite créer sa propre entreprise.

Il est toutefois difficile de concilier les capacités technologiques et l’expertise du CERN avec les marchés commerciaux. L’Organisation ne dispose pas des connaissances et de l’intelligence économique nécessaires. Le CERN ne fonctionne pas de la même manière qu’une entreprise classique, qui commence généralement par étudier les besoins d’un marché particulier ou la manière de répondre à un besoin ou à un problème spécifique. De même, la promotion des technologies novatrices auprès des entreprises peut ne pas s’avérer particulièrement efficace pour encourager leur adoption, étant donné que certaines entreprises peuvent ne pas avoir d’intérêt commercial à les adopter. Une approche hybride conciliant la poussée technologique et l’attraction du marché s’avère la plus efficace. En coordination avec ses États membres, l’approche hybride se concentre sur cinq domaines stratégiques pour une action proactive : les soins de santé, l’environnement, le numérique, l’aérospatial et l’énergie quantique.

Comprendre les besoins non satisfaits potentiels dans les différents secteurs d’activité :

Au niveau le plus bas, les départements techniques et les experts de l’Organisation examinent activement les nouvelles technologies et le savoir-faire afin de comprendre le caractère unique des capacités du CERN. Parallèlement, la participation à des manifestations et à des colloques du secteur permet de comprendre les besoins potentiels non satisfaits dans les différents secteurs et les problèmes auxquels est généralement confrontée la société dans son ensemble susceptibles d’être résolus. Au niveau suivant, les bureaux techniques et les experts élaborent des dossiers techniques et de propriété intellectuelle, qui sont ensuite traduits en une proposition de valeur claire pour les entreprises, de sorte qu’elles puissent comprendre comment les technologies sont spécifiquement liées aux besoins de leurs activités. Au niveau le plus élevé, il est essentiel de mobiliser les experts techniques afin qu’ils puissent contribuer efficacement aux projets qui mettent fortement l’accent sur les objectifs généraux de durabilité ou qui s’y rattachent. Afin d’identifier ces projets et les entreprises qui seraient favorables à de telles contributions, le CERN établit des contacts avec des représentants de ses États membres. Le profil d’un partenaire d’innovation est en règle générale celui d’une start-up ou d’une entreprise ouverte aux nouvelles technologies et au savoir-faire, avec un horizon d’innovation de cinq à dix ans.

Une fois qu’une entreprise a été identifiée, il y a généralement trois étapes clés pour façonner et entretenir avec succès des partenariats d’innovation. La première étape consiste à comprendre les besoins de l’entreprise. Les discussions sur l’innovation avec les équipes techniques ou de recherche et développement ont généralement pour but de comprendre l’ambition de l’entreprise et d’identifier ses déficiences. Occasionnellement, plusieurs personnes ayant rang de directeurs de l’entreprise peuvent être invitées à participer à une journée de découverte au CERN, qui comprendra un ensemble de thèmes à examiner ou des visites de départements ou de laboratoires susceptibles de présenter un intérêt. Il faut espérer que de telles actions susciteront l’intérêt des deux parties.

Après avoir défini les domaines d’action potentiels, la deuxième étape consiste à discuter de certains engagements spécifiques, tels que les ressources, la rémunération et la propriété intellectuelle, qui impliquent généralement des activités de recherche et développement concertées.

 

Partenariats avec le CERN :

Enfin, le partenariat doit être officialisé. De nombreux formats peuvent être mis en œuvre pour collaborer avec les partenaires industriels et institutionnels. Premièrement, un accord de licence, qui permettra à une entreprise d’utiliser une technologie spécifique développée et inventée par le CERN dans un domaine précis. Deuxièmement, un accord de type consultance, qui peut contribuer à faire avancer certains dossiers, à apporter de nouvelles connaissances et à relever certains défis. Troisièmement, le CERN peut tirer parti de ses technologies et de ses installations pour mener des recherches dans le cadre d’un contrat. Quatrièmement, la collaboration en matière de recherche et de développement, qui permet aux deux parties d’étudier un problème général et de travailler conjointement à la recherche d’une solution. En général, il faut de nombreuses années pour que de tels partenariats entre l’industrie et les partenaires institutionnels se développent.

Un partenariat de ce type a été conclu avec MedAustron, en Autriche, et le Centre national d’hadronthérapie oncologique, en Italie, qui fournit de l’hadronthérapie pour traiter les patients atteints de certains types de cancer. Ce traitement est particulièrement efficace contre les tumeurs profondes, contre lesquelles la radiothérapie traditionnelle s’est révélée inefficace. Certaines particularités des technologies du CERN servent au matériel utilisé pour la thérapie. Les deux structures utilisent un accélérateur de particules, installé dans une salle adjacente à la salle de traitement, pour diriger un faisceau de protons sur les tumeurs.

Un autre partenariat a été conclu avec le groupe Bundesdruckerei, en Allemagne, pour le développement des sciences et technologies des matériaux dans les domaines de la gestion de l’identité, de la cryptographie et du traitement des données, notamment la production de passeports et de billets de banque.

Le CERN a également mis au point des algorithmes d’apprentissage automatique qui traitent les données rapidement et génèrent des calculs précis, généralement en quelques nanosecondes, en utilisant des logiciels et du matériel spécifiques. ZENSEACT (une filiale de Volvo Cars) travaille en collaboration avec le CERN afin d’exploiter ces technologies et de faire en sorte que les véhicules à moteur ne puissent jamais heurter les piétons.

En ce qui concerne la science des données, le CERN collabore avec l’Université et le Centre de recherche de Wageningen (Wageningen University & Research) et le Centre d’expertise en gestion des risques liés aux produits afin de mettre au point de nouvelles méthodes pour protéger les marchés des matières premières et les marchés financiers contre la fraude et l’usurpation, en identifiant les anomalies qui sont particulièrement difficiles à détecter pour les organismes de réglementation. La combinaison de diverses technologies issues de diverses sciences a permis d’acquérir de nouvelles connaissances qui produisent des résultats tangibles.

Le CERN collabore également avec l’Agence spatiale européenne dans le cadre d’un contrat de recherche sur la technologie des satellites qui étudie les effets des rayonnements sur l’électronique.

L’un des participants demande si le CERN a acheté des technologies à des tiers ou si toutes les technologies utilisées au sein de l’Organisation sont développées exclusivement en interne.

Le Dr H.H. Dols (CERN) fait remarquer que le CERN dépense des sommes considérables pour acquérir des technologies auprès de différentes parties. Il est intéressant de noter qu’il est parfois difficile pour les entreprises extérieures de répondre aux exigences et aux attentes du CERN en matière de précision et d’exactitude. Une aide et un soutien sont toutefois apportés à cet égard et permettent à ces entreprises de faire mieux que leurs concurrents sur les marchés. Il est également vrai que de nombreuses entreprises sont plus performantes que le CERN dans certains domaines, d’où la nécessité de passer des marchés.

L’un des participants demande s’il existe une différence entre le transfert de technologie qui a lieu au sein des universités et le transfert de technologie au CERN.

Le Dr H. H. Dols (CERN) précise que la recherche menée dans les universités est souvent plus appliquée et plus directement liée au développement d’un produit spécifique. Dans bien des cas, les universités reçoivent des fonds de l’industrie. Les technologies du CERN, quant à elles, sont plus spécialisées et se concentrent sur des domaines relativement extrêmes de la recherche technologique, qui n’a généralement pas d’applications pour les produits du quotidien. Les universités sont également plus disposées à prendre une participation ou un investissement plus direct dans des start-ups.

Une nouvelle initiative intitulée Programme Innovation en matière d’applications environnementales du CERN a été lancée afin de mettre les technologies de l'Organisation au service de l’environnement. Celui-ci s’articule autour de quatre domaines clés : les énergies renouvelables et à faibles émissions de carbone, la durabilité et la science verte, les transports propres et la mobilité future, ainsi que les changements climatiques et la lutte contre la pollution. Un exemple est celui de Tokamak Energy, au Royaume-Uni, où des services de consultant ont été mis en place pour apporter l’expertise et les capacités requises en matière de simulation des courants et champs magnétiques dans l’énergie de fusion. Le CERN collabore également avec ABB au développement d’une représentation numérique de l’ensemble du système de refroidissement et de ventilation du CERN afin d’en améliorer l'efficacité et de réduire l’énergie utilisée à cet effet. Il est intéressant de noter que les moteurs électriques représentent environ 30 % de la consommation totale d’énergie dans la grande industrie. En appliquant des capteurs aux moteurs qui détectent les vibrations, il est possible d’identifier les performances d’un moteur et d’en améliorer l’efficacité. Un accord a été conclu avec ABB pour publier et partager les données correspondantes avec d’autres acteurs majeurs du secteur, afin qu’ils puissent bénéficier des mêmes avantages et réduire ainsi leur consommation d’électricité. Il a récemment été annoncé que le CERN collaborerait avec Airbus afin d’évaluer les technologies supraconductrices destinées aux futurs avions zéro émission, en vue d’une éventuelle utilisation de l’hydrogène à bord.

L’Organisation a également contribué à faciliter le travail des start-ups, qu’il s’agisse d’entreprises existantes ou d’employés souhaitant créer leur propre entreprise, grâce au programme Venture Connect du CERN.  Le CERN n’est pas un incubateur ou un investisseur en capital-risque, mais il rassemble un réseau d’investisseurs en capital-risque et d’incubateurs afin d’accélérer le développement. De nombreuses start-ups utilisent les technologies du CERN, comme par exemple : InsightART, qui utilise des puces Medipix pour analyser les couches de peinture afin d’authentifier les tableaux ; TIND, qui est utilisé pour numériser les archives, les textes et les systèmes de bibliothèques ; et MARS Bio Imaging, qui produit une imagerie radiographique couleur.

Travailler avec le CERN et innover ensemble apporte de nombreux avantages à la société, mais certains enseignements clés ont été tirés des collaborations précédentes. Le CERN est particulièrement performant dans ses recherches aux extrémités de l’échelle technologique, qui peuvent aider à résoudre des défis sociétaux. Il est important de pouvoir compter sur des experts passionnés dans les deux sens pour comprendre les problèmes et les produits des entreprises, et découvrir comment utiliser certaines technologies de manière plus exhaustive. Toute collaboration doit commencer par un projet concret et un réel besoin commercial. Les entreprises fonctionnent généralement avec des délais et des cycles commerciaux plus courts, ce qui n’est pas nécessairement le cas au CERN. En fin de compte, le courage est un trait de caractère essentiel, car on ne sait généralement pas quels projets seront couronnés de succès et constitueront potentiellement un élément perturbateur dans la société.

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