
Écoles de la science au service de la paix
Thème 3 – Anticiper les synergies entre la science et la diplomatie en faveur des ODD
Intervenant : Mme Marieke Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, GESDA)
Qu’est-ce que GESDA ?
Mme M. Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, Anticipateur de Genève pour la science et la diplomatie (GESDA)) dit que cet atelier a pour objectif de présenter plusieurs approches et perspectives en matière de science et de diplomatie anticipatives. Elle recevra volontiers des commentaires et des questions afin de s’assurer que les approches proposées répondent de manière adéquate aux objectifs des parlements du monde entier. L’UIP et GESDA travaillent ensemble depuis de nombreuses années pour définir la vision de la science et de la diplomatie, et surtout leur interaction combinée avec les organisations internationales et les parlements. L’atelier sera l’occasion de présenter le partenariat entre les deux organisations.
GESDA est une organisation indépendante à but non lucratif créée en septembre 2019 par le Gouvernement suisse. Le but étant de développer un nouvel instrument diplomatique qui permettra d’anticiper de manière plus importante et plus efficace les futures percées scientifiques. GESDA poursuit plusieurs objectifs clés. Premièrement, exploiter et optimiser les avantages et les opportunités des nouvelles technologies. Deuxièmement, jeter les bases de l'élaboration des politiques et de la gouvernance multilatérale en vue de la mise en œuvre de ces avancées technologiques. Troisièmement, élargir le cercle des bénéficiaires des progrès de la science et de la technologie, qui est ancré dans le droit humain universel de pouvoir bénéficier des opportunités offertes par la science.
La méthodologie de GESDA :
La méthodologie de GESDA est axée sur une série d’actions structurées dans le cadre d’une approche globale en plusieurs étapes intitulée Anticipatory Situation Room (cellule de crise anticipative). La première étape consiste à anticiper la science grâce à la recherche de pointe en collaboration avec des scientifiques du monde entier. Les percées et découvertes scientifiques sont regroupées dans un rapport annuel et une plateforme en ligne intitulée le GESDA Science Breakthrough Radar (le radar des percées scientifiques), qui constitue un point d’entrée unique pour examiner ces thèmes émergents. L’objectif de cet instrument est d’être aussi complet que possible. Un groupe d’environ 1 000 scientifiques a répertorié et classé les percées scientifiques dans quatre domaines distincts : la révolution quantique et l’intelligence artificielle avancée, l’augmentation humaine, l’éco-régénération et la géo-ingénierie, ainsi que la science et la diplomatie. Chaque domaine comprend également plusieurs sous-domaines. Les scientifiques sont invités à faire part de leurs attentes ainsi que des avancées positives et des répercussions négatives qui en découlent à un horizon de 5, 10 et 25 ans. À titre d'exemple, d’importantes avancées sont attendues dans le domaine de la surveillance cérébrale et des maladies neurodégénératives. Les avancées positives dans ce domaine peuvent aider les patients à gérer diverses pathologies, mais il existe des risques liés au contrôle potentiel qui peut être exercé sur le cerveau d’une personne et à toute atteinte aux droits de l’homme. Il est essentiel de trouver un équilibre entre l’exploitation des possibilités et l’atténuation des risques.
La deuxième partie de la méthodologie consiste à sensibiliser la communauté diplomatique aux progrès de la science par le biais du forum diplomatique de GESDA, dont l’objectif est d’encourager les discussions et les réflexions sur les actions et les domaines qui devraient bénéficier de l’intérêt et de l’attention du système multilatéral de gouvernance, afin de façonner des applications au profit de l’humanité et de préparer l’avenir de manière adéquate. Le Sommet de GESDA, qui se tient chaque année en octobre, est un autre moyen de sensibiliser la communauté diplomatique et de générer un dialogue. L’objectif étant de favoriser les conversations en vue d’établir des collaborations sur la gouvernance des percées scientifiques à l’avenir et, surtout, de commencer à travailler à la création et à la conception d’initiatives communes.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP) déclare que l’une des critiques adressées aux responsables politiques est qu’ils réagissent tardivement aux avancées et innovations technologiques. Il demande comment les informations générées par GESDA peuvent être appliquées concrètement et quelles mesures peuvent être prises dans un avenir immédiat.
Le Dr G. Alabaster (Chef du Bureau de Genève, ONU-Habitat) dit qu’il existe un fossé considérable entre les scientifiques les plus puristes et la diplomatie. Le rôle d’une organisation telle qu’ONU-Habitat est de distiller des découvertes et des innovations scientifiques très complexes à un niveau qui peut être pratiquement appliqué dans la conception de nouveaux programmes et de nouvelles approches. Ce soutien permettra aux gouvernements de déterminer la meilleure façon d’adopter les meilleures solutions disponibles et de les rapprocher de leurs structures et systèmes de gouvernance existants. Comme on peut s’y attendre, il y a des défis à comprendre et à relever, notamment parce que les modes de gouvernance varient d’un pays à l’autre. ONU-Habitat apporte ce soutien et prend en compte de multiples perspectives dans ses discussions avec les partenaires, en examinant ce qui se passera à l’avenir et en aidant à déterminer certains des problèmes sur lesquels les scientifiques devront se pencher. Une campagne active de collecte d’informations est également menée pour comprendre les priorités des communautés. Parfois, les organisations de développement ne formulent pas les meilleures recommandations et ont donc besoin d’un retour d’information constant de la part des communautés, par l’intermédiaire de leurs représentants élus, pour définir et réorienter le sens de la marche.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP) fait remarquer que, parallèlement aux efforts déployés par GESDA afin de cartographier les nouvelles tendances, des systèmes réglementaires appropriés doivent être mis en place pour faciliter de telles avancées. Dans certains cas, cependant, la législation actuelle peut constituer un obstacle pour les pays qui souhaitent attirer les chercheurs et être à la pointe du développement technologique. Dans l’exemple des maladies cérébrales, certains progrès peuvent permettre de traiter ces situations, mais la recherche et les données sont entravées par les lois nationales en matière d’éthique et de protection de la vie privée. Ces aspects doivent être abordés avant que les technologies et les questions ne deviennent courantes, notamment au niveau parlementaire. Il demande comment GESDA récupère les informations et les données sur les enjeux émergents et les transmet aux parlementaires.
Tirer parti des avancées futures en faveur des ODD :
Mme M. Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, GESDA) explique que, dans le contexte de l’informatique quantique, le travail de cartographie de GESDA a été présenté à l’occasion de son forum diplomatique. Les réactions reçues dans le cadre de ce forum indiquent que ces avancées auront des implications et des répercussions importantes dans la quasi-totalité des industries et des domaines. Un autre problème mis en évidence est que les nations les plus riches et plusieurs grandes entreprises technologiques semblent exercer un contrôle et un pouvoir quasi exclusifs sur les technologies. La démocratisation et l’inclusion dans le processus de développement sont essentielles. Le fait que les ordinateurs quantiques ne devraient pas être prêts avant au moins 10 ans offre un délai important pour impliquer d’autres partenaires et les pays du Sud dans le développement.
Le financement est également un aspect à prendre en compte pour la suite du développement. Il existe des applications potentielles pour la technologie qui n’ont pas encore de modèles commerciaux en place ou de partenaires financiers. Il est également possible que les avancées technologiques soient orientées vers la réalisation des objectifs de développement durable, mais personne n’étudie ou ne finance activement des projets à cet égard. Il est important de noter les ramifications géopolitiques des progrès technologiques, même si les technologies ne sont pas encore disponibles à l’heure actuelle. Afin d’atténuer les difficultés et de proposer des solutions applicables, GESDA a mis sur pied un groupe de travail composé de leaders du secteur, de la diplomatie et de la politique, ainsi que de chercheurs universitaires. L’un des résultats de ce groupe est la création de l’Institut ouvert de technologie quantique, qui offre un accès global et inclusif à la technologie quantique de pointe.
Discussion :
M. M. Omar (UIP) demande à M. Naughten, en sa qualité de parlementaire, quelles informations peuvent être fournies pour impliquer les parlementaires en vue d’obtenir le maximum d’impact et de s’assurer que les méthodologies reposent sur des données probantes.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP) déclare qu’il est essentiel que les applications potentielles et les implications à un horizon de 10, 20 et 25 ans soient clairement exposées aux parlementaires. Tout obstacle à la mise en œuvre doit également être communiqué. Dans le contexte des maladies cérébrales, la législation nationale constitue un obstacle à la recherche en Irlande. Les scientifiques se tourneront vers des pays où les restrictions sont moindres, et l’Irlande sera donc reléguée au second plan en termes d’opportunités potentielles. S’agissant des avancées en matière d’intelligence artificielle, aucun régime réglementaire n’a encore été mis en place dans le monde. Des informations relatives à des réglementations potentielles peuvent donc être fournies aux parlementaires. Afin d’impliquer pleinement les parlementaires, il est essentiel de commencer par l’objectif ultime et de remonter à l’état actuel de la situation pour impliquer les parlementaires aujourd’hui.
Mme M. Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, GESDA) dit qu’un retour d’information similaire sur la recherche neurologique a été reçu par le groupe de travail de GESDA. Les partenaires du secteur et les scientifiques qui sont particulièrement intéressés à mener des recherches dans les règles de l’art, réclament des cadres réglementaires. Toutefois, si la réglementation est trop contraignante dans une juridiction, les parties les moins consciencieuses transfèreront leurs activités dans une autre juridiction. Il est donc nécessaire d’adopter une législation multilatérale pour garantir des conditions équitables. L’implication des scientifiques et la représentation égale de toutes les zones géographiques dans l’élaboration de la législation sont essentielles. Il ne peut y avoir d’évaluation fiable des avantages et des risques potentiels sans leur participation.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP) estime qu’il est important de veiller à ce que les différentes perspectives en matière d’éthique et de réglementation soient représentées. L’accès universel à l’information est fondamental. Ce ne sont pas nécessairement les perceptions éthiques purement occidentales qui devraient régir les activités, mais plutôt une perspective éthique mondiale. L’engagement mondial en matière de normes éthiques est crucial.
M. M. Omar (UIP) précise qu’au cours des deux dernières décennies, la science a été guidée par les forces du marché. La rentabilité financière est l’indicateur de la direction prise par la recherche. Il est important de rapprocher la science de l’humanité et de la société. Les parlementaires doivent tenir compte de la réglementation et des perspectives éthiques, mais il est tout aussi important de rester ouvert à la recherche. Il convient de rappeler que, par le passé, la recherche sur le corps humain était fortement désapprouvée par les institutions religieuses, mais que celle-ci a conduit à des découvertes et à une compréhension qui sont monnaie courante dans la société d’aujourd'hui. La façon dont la science est perçue par la société détermine en fin de compte l’impact qu’elle aura sur l’humanité.
Mme M. Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, GESDA) souligne qu’un rapprochement entre science et société fait partie intégrante du travail de GESDA. À titre d'exemple, GESDA a élaboré un outil intitulé « Pulse of Society » (le pouls de la société), qui suit le débat public à l’aide d’un algorithme qui analyse en temps réel les conversations sur des sujets émergents dans les médias et sur les réseaux sociaux. L’objectif est de comprendre les sentiments et les discussions et la manière dont ils varient à travers le monde et les groupes. Un autre outil similaire analyse la manière dont la société civile agit dans le cadre de ses programmes de plaidoyer et mesure les contributions publiques. Il est difficile d’interagir avec la société dans son ensemble, c’est pourquoi les parlementaires sont essentiels au travail de GESDA, notamment pour relayer les messages de la société civile dans différentes zones géographiques.
Mme A. Del Rosso (CERN) se dit préoccupée par l’utilisation du terme « anticipateur ». Il n’est pas possible de prévoir l’évolution de la science, car la science consiste à se laisser surprendre et à voir comment les choses évoluent. Le processus qui consiste à demander aux scientifiques de sélectionner des éléments susceptibles d’avoir un impact sur la société à l’avenir n’est pas clair et suscite des craintes quant à la manière dont les éléments sont sélectionnés et à l’impact qui en résulte pour influencer les parlementaires et l’orientation des investissements. La science démontre que tous les impacts futurs ont la même probabilité de se produire. Il n’est pas possible de définir ce qui sera le plus important pour la société. La définition de la science est axée sur l’inconnu. La démocratisation de l’informatique quantique n’est pas non plus évidente. Ouvrir la technologie à tous les pays pour leur permettre de la façonner selon leurs propres spécifications est une erreur. La technologie n’existe pas à ce jour. Le développement de l’informatique quantique a la même probabilité de se produire que n’importe quel autre développement futur potentiel.
M. M. Omar (UIP) dit qu’il existe une différence significative entre la science pure et la curiosité dans le domaine scientifique. Les scientifiques peuvent anticiper ce qui sera découvert, ce qui fait la beauté de la science fondamentale. Selon lui, GESDA ne représente pas la science pure, mais constitue plutôt le lien entre l’avenir de la science et la manière dont la curiosité peut être liée à la société ; il offre la possibilité d’anticiper et de modéliser l’avenir de la science.
Mme M. Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, GESDA), en réponse aux préoccupations exprimées, précise que ce sont les scientifiques eux-mêmes qui définissent les sous-segments utilisés dans le Radar. Tous les sujets et toutes les idées sont acceptés et examinés par consensus et sur la base d’un examen par les pairs. Elle admet que des erreurs peuvent être commises, mais une nouvelle version du Radar est publiée chaque année, ce qui signifie qu’il fait l’objet d’ajustements permanents. L’objectif est de fournir une vision de la communauté scientifique qui soit aussi neutre et objective que possible et qui reflète ce que la communauté scientifique attend de son domaine. Eu égard à l’Institut ouvert de technologie quantique, l’objectif est d’offrir aux scientifiques la possibilité de contribuer au développement de technologies et de permettre à la communauté scientifique d’orienter la recherche. L’Institut n’a nullement l’intention de mener des recherches, mais souhaite plutôt permettre à tous les pays de participer sur un pied d’égalité.