
Écoles de la science au service de la paix
Thème 3 – La relation entre la paix et la dégradation de l’environnement, notamment la pénurie d’eau
Intervenant : M. Serge Stroobants (Directeur des opérations pour l’Europe et la région MENA, IEP)
Préserver l’indépendance de la science :
M. S. Stroobants (Directeur des opérations pour l’Europe et la région MENA, Institut pour l’économie et la paix) dit qu’il est essentiel de préserver l’indépendance de la science. Les investissements dans la recherche et les technologies par de multiples intervenants généreront des retombées importantes pour la société. Cependant, les États comme les entreprises chercheront toujours à exercer leur influence et à maximiser leurs propres intérêts, qu’ils soient politiques, financiers ou commerciaux. L’Institut pour l’économie et la paix est un groupe de réflexion indépendant et à but non lucratif dédié à la compréhension des liens entre les entreprises, la paix et l’économie. Pouvoir se concentrer sur les principes et la vision de l’Institut de manière indépendante est un luxe. Celui-ci met particulièrement l’accent sur les indicateurs permettant de mesurer la paix, les programmes opérationnels destinés à renforcer la paix et les retombées économiques de la paix. Le siège du groupe de réflexion est situé à Sydney, avec d’autres bureaux à Bruxelles, Harare, New York et Mexico.
Le rapport sur les menaces écologiques :
En 2022, l’Institut pour l’économie et la paix a publié son rapport sur les menaces écologiques, qui étudie les niveaux de résilience et les capacités des États face aux menaces écologiques. De nombreux pays n’ont pas les capacités ou la résilience nécessaires pour résister aux impacts de nombreuses menaces écologiques. Le niveau de résilience des États est mesuré grâce à une analyse systématique de milliers de données permettant d’évaluer la vulnérabilité, la résilience et le risque, ainsi que les attitudes, les structures et les institutions en place pour créer une société plus pacifique, plus stable et plus résiliente. Au total, 3 638 zones administratives locales dans 228 pays et États indépendants sont classées en fonction de l’impact des menaces écologiques. Le rapport porte sur quatre domaines clés : la sécurité alimentaire, le stress hydrique, la croissance démographique et les catastrophes naturelles. Il produit deux mesures objectives des menaces écologiques : un score pour le rapport sur les menaces écologiques, qui correspond au nombre de menaces écologiques auxquelles un État est confronté, et un score catastrophique, qui correspond à la menace qui serait la plus catastrophique pour un État. Les pays présentant les menaces écologiques les plus élevées et les niveaux de résilience les plus faibles sont classés dans la catégorie des pays sensibles. Le rapport 2022 sur les menaces écologiques compte 27 pays à risque.
Selon les principales conclusions du rapport, 127 pays sont confrontés aux plus graves menaces écologiques et abritent plus de 2 milliards de personnes. D’ici à 2050, la population de ces pays devrait atteindre 3,4 milliards d’habitants, soit une augmentation de 66 % de la population. La population des pays en situation de paix précaire devrait augmenter de 37 %, contre moins de 1 % dans les pays à très haut niveau de paix. Il existe une relation étroite entre les menaces écologiques, les niveaux de dépendance et la violence. La plupart des pays touchés par les menaces écologiques figurent également en tête de nombreux indices du terrorisme international. Quelque 760 millions de personnes souffrent de malnutrition, ce qui aggrave la situation dans de nombreux États. La malnutrition n’est pas un phénomène nouveau, mais elle a été renforcée par la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine. Les tendances concernant la perception de l’impact de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques sont préoccupantes. Depuis 2019, l’inquiétude concernant l’impact des changements climatiques et les menaces écologiques a diminué de 1,5 % pour atteindre 48 %. Il convient de noter en particulier les très faibles niveaux de préoccupation de la Chine, de la Fédération de Russie et de l’Inde. Il est clair que les plus grands pollueurs de la planète ont le plus d’impact sur l'évolution de la dégradation écologique. Les mégapoles qui se développent le plus rapidement au monde sont les moins à même de gérer la croissance, ce qui entraîne souvent des niveaux élevés de violence, des troubles civils, une pollution omniprésente et des conditions sanitaires médiocres. De nombreuses villes sont généralement construites sur des terrains précédemment utilisés pour l’agriculture, ce qui réduit la capacité d’un État à atténuer les problèmes environnementaux. Les pays affichant une forte résilience sociétale sont susceptibles de relever leurs défis écologiques. Ces pays ont la responsabilité et le devoir d’aider les États qui ne seront pas en mesure de relever leurs défis écologiques. Dans de telles circonstances, la science passe après la politique. Les montants demandés lors des récentes conférences internationales sont minimes par rapport aux sommes investies dans la sécurité, le sauvetage des économies nationales lors de la pandémie de COVID-19 et la promotion de la concurrence mondiale.
Sur les neuf régions présentées dans le rapport, les trois régions les plus menacées et affichant les scores ETR les plus élevés sont l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne, cette dernière étant confrontée aux défis les plus importants. Quelque 89 % des habitants de la région sont confrontés à l’insécurité alimentaire, qui sera encore aggravée par la croissance démographique. D’ici à 2050, la population de l’Afrique subsaharienne devrait augmenter de 95 %, et la population de 15 pays devrait plus que doubler. Par conséquent, les ressources disparaîtront plus rapidement en raison de l’augmentation de la demande. Six des dix pays les moins pacifiques du monde sont situés dans la région.
Nombre de rapports sur les changements climatiques et les menaces écologiques établis par d’autres groupes de réflexion mettent généralement l’accent sur les effets auxquels les pays sont confrontés et ne prennent pas suffisamment en compte leur capacité à les absorber. L’aide climatique est basée sur ces recherches axées sur l’impact. Certains pays ont encore une certaine capacité à absorber les chocs et ne reçoivent donc pas d’aide climatique internationale. L’approche en matière d’aide climatique doit être revue afin que les pays qui ne présentent pas des niveaux aussi élevés d’impact écologique ou de changements climatiques soient inclus dans la distribution de l’aide.
Sécurité alimentaire et hydrique :
Quelque 41 pays sont confrontés à une insécurité alimentaire extrême et 92 % des personnes en situation d’insécurité alimentaire vivent dans des pays où le niveau de paix est faible. Plus de 830 millions de personnes vivent dans des pays en proie à une grave insécurité alimentaire. Ces statistiques extrêmes ont conduit l’Institut pour l’économie et la paix à collaborer avec le Programme alimentaire mondial pour analyser la corrélation qui existe entre l’alimentation, la sécurité et la paix. C’est en Afrique subsaharienne que l’on trouve la plus forte concentration de population confrontée à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire, qui sont 14 fois plus élevés que dans la deuxième région la plus touchée.
La sécurité alimentaire et la sécurité hydrique sont intrinsèquement liées. Une pénurie d’eau entraîne un manque de nourriture. Plus de 1,4 milliard de personnes dans 83 pays sont exposées à des niveaux extrêmes de stress hydrique. L’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine sont les régions les plus touchées par le stress hydrique. Sans planification préalable, de nombreux pays européens subiront un stress hydrique. L’eau est également une source et un déclencheur de conflits. La probabilité de régler ces conflits liés à l’eau par la négociation ou la médiation diminue, et le potentiel de conflits liés à l’eau augmente. Les barrages offrent d’importantes possibilités de production d'énergie, mais posent des problèmes majeurs aux pays situés en aval.
La région Asie-Pacifique est la plus touchée par les catastrophes naturelles, suivie par l’Afrique subsaharienne, l’Amérique centrale et les Caraïbes. Les inondations sont la forme la plus courante de catastrophe naturelle. Le coût des catastrophes naturelles est passé de 50 milliards d’USD par an dans les années 1980 à plus de 200 milliards d’USD par an au cours de la dernière décennie. Il est temps d’agir. On pense souvent à tort qu’il sera plus rentable de reporter les investissements visant à atténuer les effets des menaces écologiques et l’impact des changements climatiques.
Le nombre de personnes déplacées par les conflits a continué d’augmenter de façon spectaculaire. Si l’on exclut les déplacements causés par la guerre en Ukraine, plus de 89 millions de personnes ont été déplacées en raison d’un conflit, ce qui représente une augmentation de 3,5 % par rapport à 2021. Les cinq pays où le nombre de personnes déplacées en raison d’un conflit a été le plus élevé en 2021 sont la Syrie, l’Éthiopie, la République démocratique du Congo, l’Afghanistan et le Sud-Soudan.
Les politiques actuelles ne suffisent pas à inverser la tendance à la détérioration de l’environnement :
Les politiques actuelles ne suffiront pas à inverser la tendance à la détérioration de l’environnement dans les pays les plus pauvres et les moins pacifiques. Les pays les plus résilients seront en mesure d’atténuer les chocs écologiques actuels et futurs. Ces pays sont tenus de soutenir les États moins résilients. Une meilleure analyse des systèmes sociétaux permettra d’obtenir des résultats environnementaux plus efficaces. Des solutions systémiques et des recherches sont nécessaires au niveau multilatéral. Les acteurs internationaux et multilatéraux semblent opérer en vase clos et ne sont donc pas en mesure d’apporter des solutions adéquates aux problèmes systémiques. Il ne peut y avoir de solution au problème de l’interaction entre la dégradation de l’environnement et les conflits sans le soutien des communautés locales. Le lien entre les initiatives régionales de plusieurs milliards de dollars et les initiatives locales de microcrédit fait défaut. Il n’y a pratiquement pas de solutions dont le coût se situe entre 0,5 et 1 million d’USD. Il est important d’établir un lien entre les solutions politiques très stratégiques et les solutions locales.