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Thème 4 – La diplomatie de l’eau

 

Intervenant : Dr Mark Zeitoun (Directeur général du Pôle Eau Genève)

 

La diplomatie doit tenir compte des jeux de pouvoir :

 

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) adresse trois messages clés aux participants sur la dynamique simpliste qui sous-tend l’impossibilité d’accéder à l’eau pour certaines populations, l’efficacité des réponses politiques et l’utilité des sciences sociales à cet égard. Un partage inéquitable de l’eau aura des effets néfastes, d’où l’importance de comprendre la symétrie du pouvoir pour une diplomatie de l’eau efficace et de se référer à la législation nationale et internationale sur l’eau comme un guide utile. Les processus sociaux et les processus biophysiques sont des facteurs importants de conflits liés à l’eau, et une cause de la pénurie d’eau sociale. L’Iraq est particulièrement sec en raison des barrages situés en amont. Les accords et la diplomatie sur l’eau dans la région sont insuffisants, voire inexistants. L’eau est une source de jeux de pouvoir politique dans les conflits, qui doivent être pris en compte dans le cadre de l’action diplomatique dans le domaine de l’eau. Le pays le plus puissant d’une région détermine généralement qui reçoit l’eau. L’asymétrie des pouvoirs est une réalité, mais l’hégémonie du fleuve peut utiliser cette position de pouvoir et d’influence pour le bien de tous au-delà de ses propres frontières. Se concentrer sur des intérêts nationaux étroits n’est qu’une solution à court terme.

Une diplomatie efficace :

Les parlementaires peuvent mettre en œuvre de nombreuses solutions pour garantir une diplomatie efficace et remédier à l’asymétrie des pouvoirs. Premièrement, il est important de renforcer les capacités pour aider les parties dites faibles dans les négociations. Il importe de veiller à ce que les négociateurs aient les mêmes compétences techniques et juridiques. Le résultat d’un accord négocié sur un pied d’égalité est toujours plus durable qu’un accord conclu sous la contrainte. Deuxièmement, l’accent doit être mis sur l’uniformisation des règles du jeu, les normes acceptées devant servir de base à toutes les négociations. Plus concrètement, cette action peut se concentrer sur la question de savoir qui doit recevoir de l’eau et en quelles quantités. Il est essentiel de décider si les ressources en eau doivent être divisées à parts égales ou réparties en fonction des besoins. Dans le cas du Nil, onze pays se partagent la ressource en eau. Certains pays de la région sont plus dépendants du fleuve que d’autres.

Soutien et opposition à la loi sur l’eau :

La Convention des Nations Unies sur les cours d’eau de 1997 stipule que la répartition et l’utilisation d’un cours d’eau doivent être équitables et raisonnables. L’application d’une telle mesure dans des régions spécifiques du monde changera radicalement la donne pour la diplomatie internationale. Une majorité de pays n’ont pas signé ou ratifié la Convention, peut-être par manque d’intérêt, minimisant les avantages ou s’y opposant totalement. Certains États ont mis en œuvre des dispositions techniques et économiques qui contournent la politique, ce qui est une évolution curieuse pour la diplomatie scientifique. Cependant, ces actions évitent la source du conflit, qui est la distribution de l’eau elle-même.

Le droit international de l’eau n’est pas parfait, notamment parce qu’il peut être bafoué. Toutefois, en l’absence de normes et de principes convenus, l’espace et les possibilités de résolution des conflits sont réduits à néant. Le droit international de l’eau est la moins mauvaise des solutions. Il est également possible d’assurer la cohérence avec le droit national et le droit international afin de garantir une mise en œuvre efficace.

Discussion :

M. M. Omar (UIP) remercie M. Zeitoun pour le soutien inestimable que lui-même et son organisation ont apporté à l’UIP dans l’élaboration du guide des Écoles de la science au service de la paix.

Le participant de la Turquie affirme que les ressources en eau transfrontalières sont l’une des meilleures ressources pour favoriser la collaboration entre les États. Bien que son pays ne soit pas riche en eau et en dépit des problèmes politiques actuels, la Turquie a continué à fournir de l’eau à ses voisins. Les barrages et les systèmes d’irrigation sont des outils indispensables pour prévenir les inondations. Il demande comment il est possible de parvenir à un développement durable sans barrages ni systèmes d’irrigation.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) estime que la poursuite de la construction des barrages est amplement justifiée, d’autant plus qu’ils sont à l’origine de la quasi-totalité de l’électricité utilisée au Canada et en Scandinavie. La question porte plutôt sur les conséquences de leur construction sur d’autres pays. Il est vrai que la Turquie a légalement le droit de construire des barrages, mais l’Iraq a le droit légal de ne pas subir de dommages significatifs en conséquence. Le droit international est utile pour déterminer comment les ressources en eau peuvent être partagées et les considérations qui seront prises en compte pour garantir une utilisation équitable et raisonnable. Il ne s’agit pas d’une solution parfaite, mais il peut servir de guide pour convenir d’un cadre entre pays voisins afin de négocier un résultat satisfaisant.

Le participant d’Israël déclare que le dessalement et le recyclage des eaux usées peuvent fournir des ressources supplémentaires à toutes les parties. Il demande à M. Zeitoun des précisions à ce sujet.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) indique qu’à l’époque de la Conférence d’Annapolis, Israël commençait tout juste à dessaler l’eau. Israël a la capacité et la technologie pour produire de l’eau, ce qui réduit la pression sur les ressources naturelles en eau. La partie palestinienne demande que ces technologies soient prises en compte dans l’équation du partage de l’eau. Israël refuse, préférant se concentrer sur d’autres questions urgentes. Une vingtaine d’années plus tard, Israël produit encore plus d’eau et épure 80 % de ses eaux usées. Israël n’est donc plus considéré comme un pays où l’eau est rare. Toutefois, cette eau n’est pas partagée avec les Palestiniens.

Le participant israélien dit que le développement des technologies et des capacités ne doit pas impliquer que les pays renoncent à leurs ressources naturelles.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) dit qu’Israël ne devrait pas être tenu de renoncer à ses ressources en eau, mais qu’une utilisation équitable et raisonnable est un aspect important à prendre en considération.

M. B.N. Tankoano (Comité interparlementaire du G5 Sahel) fait remarquer que la région du Sahel est particulièrement aride et manque d’eau en quantité suffisante. L’accès à l’eau peut être utilisé comme un moyen de traverser la crise actuelle, mais il n’y a pas de solutions internationales à cet égard pour la région. La Guinée est un exemple crucial, car le pays a la capacité de fournir de l’électricité à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest grâce à des projets hydroélectriques. Les projets et organismes internationaux peuvent offrir un cadre pour faciliter la coordination entre les différents États. Il demande comment l’eau peut être utilisée dans le cadre de la diplomatie interétatique pour résoudre les conflits.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) affirme que l’Afrique de l’Ouest est un modèle en matière de partage des ressources en eau. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie et l’Autorité de développement du bassin du fleuve Sénégal sont des organisations régionales qui gèrent conjointement leurs fleuves et bassins respectifs. Ces organisations ont pour mandat de penser au-delà de leurs frontières et de considérer l’eau comme un bien commun pour l’humanité. De telles organisations sont nécessaires ailleurs. Les deux organisations coopèrent de manière à garantir un accès équitable et raisonnable.

La région du Sahel est évidemment différente en raison des conflits. Toutefois, malgré ces différences, les gens sont les mêmes. Les populations peuvent utiliser la science citoyenne pour la diplomatie citoyenne. Les défenseurs de l’environnement de part et d’autre des frontières peuvent se réunir pour organiser le partage de l’eau ou pour coopérer dans le domaine de l’eau, en espérant que des mesures seront prises au fur et à mesure. Il serait naïf de penser que les actions menées au niveau communautaire influenceront les États et les gouvernements, mais ces actions peuvent avoir un impact positif sur les communautés et servir d’exemple à d’autres.

Le participant du Tchad indique que son pays fait partie de la région du Sahel et qu’il offre un potentiel important en ce qui concerne les eaux souterraines et les eaux de surface. Il demande s’il est possible de mettre en place un projet de drainage de l’eau pour l’utiliser ailleurs.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) dit que, malgré les conflits en cours, la région du Sahel et l’Afrique de l’Ouest en général peuvent offrir des possibilités d’apprentissage et de développement s’agissant des projets d’aménagement hydraulique. Dans le monde de l’eau, l’un des principaux obstacles à la poursuite de l’apprentissage est la langue, l’anglais étant trop souvent utilisé comme langue par défaut. Les locuteurs d’autres langues doivent être impliqués dans les discussions pour que le dialogue soit efficace.

Le participant de la Palestine explique que son village est situé sur le plus grand aquifère de Cisjordanie, mais que l’eau est prélevée et pompée directement vers la ville de Tel Aviv. Avant 2007, le village devait compter sur l’eau de pluie, qui était recueillie dans de grands puits et des conteneurs pour assurer un approvisionnement régulier et constant. Il est impossible de planifier de nouvelles méthodes de réutilisation de l’eau ou même de créer de nouvelles usines afin de recycler les eaux usées, car trop souvent les zones appropriées sont contrôlées par Israël et les autorisations applicables ne sont pas accordées. Il est essentiel d’aborder ces questions pour instaurer la paix et répondre aux besoins humanitaires fondamentaux.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) estime qu’il y a plus d’eau que nécessaire dans la région pour répondre à la demande, mais que cette eau est souvent refusée aux Palestiniens en raison du conflit israélo-palestinien au sens large. Il est notable qu’Israël dispose des technologies liées à l’eau les plus innovantes au monde, alors que des personnes situées à seulement quelques kilomètres collectent l’eau de pluie. Une telle situation est purement politique et conflictuelle. Il garde l’espoir que l’eau puisse être utilisée pour influer sur le processus politique dans son ensemble afin de régler les différends qui opposent les Palestiniens et les Israéliens.

M. M. Omar (UIP) demande si les technologies de l’eau peuvent contribuer à réduire la pression et le stress dans certains pays.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) dit que les technologies de l’eau peuvent atténuer certaines pressions sur les ressources naturelles. La technologie du dessalement a permis à Israël de produire plus d’eau qu’il n’en faut pour répondre aux besoins du pays. Celle-ci réduit la pression sur les réserves d’eau douce, mais ne règle pas les conflits de manière satisfaisante. Les avantages de la technologie peuvent être utilisés pour résoudre certains problèmes, notamment dans le cadre d’un processus politique visant à résoudre les conflits.

M. M. Omar (UIP) demande si la technologie peut être utilisée non pas pour résoudre les conflits, mais pour les apaiser ou faciliter les discussions.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) affirme que la technologie peut certainement être utilisée pour apaiser les tensions, notamment en Palestine ou en Égypte à titre d’exemple. Toutefois, le problème dans ces régions est la quantité d’eau reçue. Le dessalement est un processus coûteux. Les citadins pourront payer, mais les agriculteurs, qui ont besoin de beaucoup plus d’eau, ne pourront en assumer le coût. La technologie peut donc réduire les tensions pour les citadins, mais pas pour les agriculteurs.

M. M. Omar (UIP) demande si un soutien supplémentaire sous forme de recherches ou d’études est disponible, s’agissant notamment des pays du Sahel.

Le Dr M. Zeitoun (Pôle Eau Genève) dit qu’il se fera un plaisir de fournir des informations supplémentaires le cas échéant et qu’il discutera de ces possibilités avec ses collègues.

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