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Thème 6 – La science peut-elle transformer les éléments de conflit en facteurs de coexistence ?

Intervenants : M. Serge Stroobants (Directeur des opérations pour l’Europe et la région MENA à l’Institut pour l’économie et la paix), Dr Kate Shaw (Scientifique au Centre international Abdus Salam de physique théorique (CIPT))

 

La collaboration entre l’UIP et l’IEP :

 

M. S. Stroobants (Directeur des opérations pour l’Europe et la région MENA, Institut pour l’économie et la paix) attire l’attention sur les piliers de la collaboration entre l’IEP et l’UIP, notamment : 1) la science et la paix ; 2) l’analyse des efforts de paix ; 3) la résolution des conflits ; et 4) l’engagement parlementaire en faveur de la paix. L’IEP apporte une perspective de paix au premier pilier tout en travaillant sur la gestion des données afin que la recherche sur la paix puisse être accessible à un plus large public. Dans le cadre du deuxième pilier, des efforts sont déployés pour répertorier les différentes initiatives de paix de l’UIP et les inscrire dans un cadre conceptuel clair. L’objectif de ce cadre est d’améliorer l’efficacité et de renforcer les résultats. Le troisième pilier consiste à évaluer les nombreux facteurs de conflit et à réorganiser les initiatives de l’UIP en fonction de ces facteurs. Il est important d’examiner les conflits sous différents angles, car les interventions militaires seules n’apportent pas une paix durable, comme le montrent les situations en Syrie, en Iraq et en Afghanistan. Dans cette optique, l’Appel du Sahel, une déclaration conjointe dans laquelle les parlementaires ont appelé à la paix et au développement durable au Sahel, s’est articulé autour de cinq domaines de travail : l’environnement, la communauté, la sécurité, le développement et l’éducation. La même approche devrait être reproduite dans d’autres régions. Le quatrième pilier reconnaît le rôle important que les parlementaires peuvent jouer dans les efforts de paix. La législation, par exemple, est une garantie importante de stabilité et de progrès. En outre, les pays qui s’engagent dans des accords bilatéraux ou multilatéraux tendent à être plus pacifiques en raison de la nécessité de créer de bonnes conditions pour les investissements directs étrangers.

 

Il existe une différence entre la paix positive et la paix négative. Les sociétés devraient être construites sur les piliers de la paix positive afin de les rendre stables et résistantes. Certains pays sont déjà sur la voie de la construction d’une paix positive par le biais de leur législation et de leurs politiques.

 

La physique au service du développement dans les régions en conflit :

 

Le Dr K. Shaw (Scientifique au Centre international Abdus Salam de physique théorique) précise que sa présentation portera sur l’importance de la physique, notamment dans les régions en conflit.

 

La science a un rôle absolument essentiel à jouer dans la réalisation d’un grand nombre d’objectifs de développement durable. Alors que de plus en plus de pays s’orientent vers des économies numériques et vertes, il est essentiel d’investir dans la science et d’assurer le transfert de technologies vers l’industrie. Les pays du monde entier, qu’ils aient des revenus élevés ou faibles, doivent investir davantage dans la recherche et l’innovation. Les communautés de recherche dépendent de politiques et de financements favorables. Toutefois, environ 80 % des pays consacrent moins de 1 % de leur PIB à la recherche et au développement.

 

La résolution des problèmes liés à l’environnement et au développement nécessite des scientifiques ainsi que des institutions scientifiques et éducatives. Toutes les nations doivent disposer de systèmes d’enseignement scientifique solides, depuis l’enfance jusqu’au doctorat. Il est démontré que la présence d’institutions de recherche et d’universités contribue à améliorer l’éducation à tous les niveaux. Par exemple, les personnes ayant suivi une formation universitaire dans le domaine de la recherche scientifique peuvent devenir enseignants, ce qui permet d’améliorer l’enseignement primaire et secondaire à partir de la base. Cependant, de nombreux pays à faible revenu ne disposent pas des fonds ou des ressources nécessaires pour investir dans l’infrastructure requise pour construire une solide base de recherche et seront donc laissés de côté. Parmi les ressources qui leur font défaut, citons les laboratoires et les technologies de l’information et de la communication modernes.

 

Pays en conflit ou en proie à des troubles politiques :

 

La situation est encore pire dans les pays en conflit. La science est reléguée au second plan dans les conflits en raison des nombreuses autres questions qui doivent être traitées. Les pays en conflit ont donc du mal à obtenir un soutien pour leurs secteurs scientifiques. Le manque d’attention accordée à la science a des effets négatifs tant pendant qu’après le conflit. Cela signifie en effet que le pays perd toute une génération de scientifiques formés et qu’il aura donc du mal à se reconstruire. Il existe cependant des moyens pour la communauté internationale de soutenir la science dans les zones de conflit.

 

Le CIPT est un centre basé à Trieste qui travaille sous les auspices de l’UNESCO pour promouvoir la physique dans les pays en développement. Il a travaillé avec un certain nombre de pays en conflit, notamment l’Afghanistan, le Venezuela et la Palestine.

 

L’exemple de l’Afghanistan :

 

Sa collaboration avec l’Afghanistan a débuté en 2018, alors que le pays était en guerre depuis près de 20 ans. Toutefois, en dépit des conditions difficiles, les jeunes Afghans s’efforcent continuellement de devenir des scientifiques et de fonder une communauté scientifique.

 

L’Afghanistan compte quatre universités qui proposent des diplômes de premier cycle en physique, mais pas de master ni de doctorat. Les facultés font peu ou pas de recherche, employant la totalité de leur personnel à l’enseignement ou à l’administration. Ainsi, des étudiants deviennent professeurs à l’âge de 20-21 ans avec un simple diplôme de premier cycle. Cela contraste vivement avec la plupart des autres facultés de physique où les professeurs doivent être titulaires d’un doctorat. Il y a très peu de financement et de possibilités pour les étudiants titulaires d’un diplôme de premier cycle de faire des études de troisième cycle à l’étranger.

 

Certains jeunes professeurs passionnés de l’Université de Kaboul ont voulu améliorer la coopération internationale et se sont donc associés à l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) et au CIPT. Ensemble, ils ont organisé une série d’écoles de physique des hautes énergies, qui comprennent des masterclasses en ligne, des travaux sur les données ouvertes d’ATLAS et une visite virtuelle du CERN. Les efforts se poursuivent également pour améliorer les cours de premier cycle à l’université. Il manque en effet de nombreux modules dans les programmes d’études, ce qui signifie que des étudiants très prometteurs ne peuvent pas postuler à des programmes de master ou de doctorat à l’étranger. Le CIPT a également mis en place des bourses d’études financées pour les Afghans souhaitant obtenir un master dans des universités partenaires en Iran, et soutenu au total 30 étudiants ces quatre dernières années.

 

Le travail susmentionné a généré de nombreux résultats positifs. Par exemple, quatre diplômés du programme de bourses occupent actuellement des postes de doctorants à l’étranger, en Suisse ou en Italie. Quelques étudiants ont été acceptés dans le programme des étudiants d’été du CERN ou le programme STEP du CIPT. Deux étudiantes sont également devenues membres du corps enseignant d’un centre de recherche en Italie.

 

Toutefois, la collaboration avec l’Afghanistan est devenue plus difficile depuis la chute du gouvernement en 2021. Les fonds disponibles étant moindres, le CIPT envisage d’organiser des cours en ligne. Des questions se posent néanmoins quant à l’opportunité de travailler avec l’administration actuelle. Bien que la question soit complexe, il est important que les scientifiques en herbe ne soient pas abandonnés.

L’exemple du Venezuela :

 

Les pays confrontés à l’instabilité politique, comme le Venezuela, sont tout aussi menacés que les pays en conflit. En effet, le Venezuela fait face à un effondrement économique qui a entraîné un exode massif de la population, dont 50 % du personnel universitaire. En réponse, le CIPT a mis en place un programme de bourse pour permettre aux scientifiques de rester dans le pays. Le programme a soutenu 14 boursiers sur deux ans, entre 2020 et 2021. La situation au Venezuela a démontré la nécessité d’agir rapidement pour éviter un effondrement du secteur scientifique pendant une crise économique. Une fois que les gens sont partis, il n’est pas certain qu’ils puissent ou veuillent revenir.

 

L’exemple de la Palestine :

La Palestine est un autre pays soutenu par le CIPT. La situation y est légèrement différente d’un conflit ordinaire, car le pays est sous occupation. L’occupation rend incroyablement difficile la promotion de la physique en Palestine. Les Palestiniens souffrent du même manque de financement que les autres zones de conflit, mais ils sont également confrontés à d’énormes problèmes de déplacement. En effet, il n’est pas facile d’entrer dans le pays ou d’en sortir pour se rendre à des conférences, fréquenter des écoles ou visiter des institutions scientifiques. Il est également très difficile d’obtenir des visas.

 

La communauté scientifique perd de brillants esprits en raison de la situation politique en Palestine. Le pays affiche un taux d’alphabétisation très élevé (98 %) et environ 30 % de sa population va à l’université (la plus forte proportion dans tout le monde arabe). En outre, ses étudiants sont extrêmement forts et travailleurs. Les Palestiniens ont en effet obtenu des notes de 20 à 30 % supérieures à celles de leurs homologues britanniques lors des examens d’un programme de master organisé dans une université britannique de premier plan.

 

Il est impératif de trouver un moyen de soutenir les Palestiniens dans leur carrière. Le CIPT a donc créé des bourses et fourni des conseils sur les possibilités offertes à l’étranger. Certains étudiants ont décroché un poste au CIPT, tandis que d’autres suivent divers programmes au CERN. Les scientifiques palestiniens sont également encouragés à donner des conférences à distance lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’y assister en personne, ainsi qu’à nouer des liens au-delà de la Palestine pour ne pas rester isolés.

La science en exil :

 

Elle attire l’attention sur le nombre important de scientifiques réfugiés vivant en exil. Par exemple, rien qu’en Iraq, 1 600 scientifiques déplacés ont fui leur pays à cause de la guerre. Il est primordial que les pays d’accueil intègrent les scientifiques réfugiés dans leurs universités plutôt que de les placer dans des camps de réfugiés où leurs connaissances et leurs compétences ne sont pas exploitées. Cela aidera non seulement les scientifiques, en leur permettant de vivre dans la dignité, mais profitera également aux sociétés d’accueil et à la science dans son ensemble. Nombre d’organisations s’efforcent de soutenir les scientifiques réfugiés, notamment l’Académie mondiale des sciences. Des bourses d’études pour les réfugiés sont également disponibles.

 

Physique sans frontières : une coopération scientifique internationale :

 

Il est nécessaire de reconnaître les avantages de la coopération scientifique internationale, qui contribue à construire des ponts entre les nations. La coopération est importante non seulement entre les pays stables à revenu élevé, mais aussi avec les pays à faible revenu, ainsi qu’avec les pays en conflit ou confrontés à l’instabilité politique. Il s’agit d’un moyen de rassembler les gens autour d’un objectif commun et donc de promouvoir la paix. Les expériences ATLAS et CMS (Compact Muon Solenoid) au CERN illustrent son propos. Ces deux expériences travaillent en concurrence et se critiquent souvent l’une l’autre. Dans le même temps, cependant, ils partagent un objectif commun et peuvent donc se réunir chaque fois que cela est nécessaire pour comparer les résultats et partager les techniques. La capacité à s’unir pour le bien commun, en dépit d’idées et d’infrastructures contradictoires, est une chose que la science peut enseigner à l’humanité.

 

Elle attire l’attention sur le CIPT et le Centre international de rayonnement synchrotron pour les sciences expérimentales et appliquées au Moyen-Orient (SESAME), qui constituent de formidables modèles de collaboration internationale. Le CIPT a été fondé en 1964, principalement comme un pont entre l’Est et l’Ouest grâce à son emplacement à Trieste, qui faisait auparavant partie de l’ex-Yougoslavie. Actuellement, il s’agit d’un centre pour tous les peuples de toutes les nations. Le SESAME offre des opportunités aux pays qui n’ont pas beaucoup d’histoire dans le domaine des sciences. Elle est convaincue qu’il faudrait construire davantage d’installations comme le SESAME, non seulement pour promouvoir la coopération interrégionale, mais aussi pour renforcer les capacités des scientifiques, endiguer la fuite des cerveaux et rapprocher les gens pour vaincre les conflits.

 

En résumé, il est essentiel de soutenir les scientifiques et les jeunes et de construire des infrastructures scientifiques à travers le monde, mais surtout dans les régions en conflit où la science est souvent négligée. La coopération scientifique internationale est un outil essentiel pour résoudre les conflits, car elle permet de tisser des liens diplomatiques plus souples et de faire tomber les barrières entre les pays ayant un objectif commun. Il est nécessaire de créer davantage d’opportunités de mise en réseau, d’encourager la collaboration interrégionale et de construire des infrastructures communes.

 

M. S. Stroobants (Directeur des opérations pour l’Europe et la région MENA, Institut pour l’économie et la paix) attire l’attention sur l’un des huit piliers de la paix positive, à savoir des niveaux élevés de capital humain, ainsi que sur l’accent mis sur l’éducation dans l’Appel du Sahel. Force est de constater que les sociétés sont fortes lorsque leurs élites sont fortes.

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