
Écoles de la science au service de la paix
Thème 2 – L’ODD 6 et la gestion de la pollution des eaux usées : un exemple concret de science et de diplomatie
Intervenant : Dr Graham Alabaster (Chef du Bureau de Genève, ONU-Habitat)
Les défis : un monde en mutation :
Le Dr G. Alabaster (Chef du Bureau de Genève, ONU-Habitat) affirme que la démographie mondiale évolue très rapidement. De nombreux lieux s’urbanisent à un niveau jamais vu auparavant, entraînant des inégalités importantes qui ont été aggravées par le stress climatique, dont les effets n’ont pas encore été pleinement perçus. L’impact sur les systèmes alimentaires sera considérable, l’eau devenant une ressource de plus en plus rare. Les pays d’Europe commenceront à être confrontés à certains des mêmes problèmes de pénurie que ceux observés au Moyen-Orient. La gestion des déchets produits par la société est l’un des domaines qui manquent d’attention. Heureusement, un objectif de développement durable est spécifiquement consacré à l’eau, grâce aux efforts déployés par de nombreux gouvernements dans ce domaine. Un système sophistiqué a été mis en place pour surveiller les aspects du cycle de l’eau. Toutes les agences des Nations Unies compétentes dans ce domaine soutiennent les États membres dans le suivi des ODD. Il lui incombe, avec ses collègues de l’OMS, de gérer la production d’eaux usées.
En 2019, la réalisation des objectifs de développement durable liés à l’eau est à la traîne, notamment dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, ce qui n’est pas surprenant puisque la région est bien connue pour sa pénurie d’eau. La cible 6.3 des objectifs de développement durable vise à réduire de moitié la pollution et les rejets d’eaux usées non traitées dans l’environnement d’ici à 2030. Cet objectif comporte deux volets : la gestion des eaux usées et la qualité de l’eau des bassins. ONU-Habitat concentre ses travaux sur les eaux usées industrielles et l’OMS sur les eaux usées produites par les ménages. Dans son dernier rapport, l’OMS note que seuls 42 pays ont fourni des statistiques sur la production et le traitement des eaux usées en 2015. ONU-Habitat s’inquiète particulièrement du faible nombre de rapports établis et de son impact sur tous les aspects de la vie à l’avenir. La question des eaux usées est également complexe. Dans certaines régions du monde, l’eau provenant des toilettes et de l’industrie se déverse dans les égouts, et se mélange aux eaux de pluie. Il est particulièrement inquiétant de constater les niveaux croissants de micropolluants et de résidus d’antibiotiques trouvés dans les eaux usées. Nul n’ignore que les contaminants affectent l’environnement, mais le processus de gestion est mal compris.
La réutilisation des eaux usées :
La lutte contre la pénurie d’eau signifie que la demande de réutilisation des eaux usées va continuer à croître. Dans de nombreuses régions du monde, les eaux usées sont utilisées dans le secteur agricole. Les excréments produits par les humains contiennent des niveaux similaires aux niveaux recommandés de nutriments nécessaires à la culture et à la production de céréales. L’azote est l’un des principaux composants des engrais et est fréquemment utilisé. Les processus de production d’azote, particulièrement énergivores, n’ont pas changé de manière significative au cours du siècle dernier. On produit donc des engrais très coûteux qui sont utilisés pour fertiliser les champs, lesquels servent à leur tour à produire du bétail, que l’homme consomme ensuite. L’utilisation intensive de l’agriculture et le coût réel de production pour l’environnement sont préoccupants. Selon des recherches, 2 hectares de terre sont nécessaires pour produire une tonne de protéines animales comestibles. Chaque tonne de protéines nécessite 50 000 m3 d’eau douce et produit 100 tonnes de dioxyde de carbone. Les processus actuels ne sont pas pérennes d’un point de vue environnemental. D’après ces statistiques, il est possible de repenser le cycle et la manière dont l’azote produit par le bétail à travers ses déchets peut être recyclé pour produire directement des matières premières pour les animaux. Il est également possible de recycler les excréments humains pour produire des protéines microbiennes qui, en fin de compte, peuvent être rendues propres à la consommation humaine. Il est évident que certains obstacles doivent être surmontés, mais ce sera un bon moyen d’économiser de nombreuses ressources.
Les défis posés par la pollution de l’eau et la production alimentaire :
La science et la diplomatie peuvent s’unir pour relever les défis conjoints de la pollution de l’eau et de la production alimentaire, d’autant plus que ces sujets sont étroitement liés en termes de résidus d’antibiotiques. Une grande partie des résidus provient des animaux, et de nombreux agriculteurs utilisent des antibiotiques à titre prophylactique pour éviter que les animaux ne tombent malades. De nombreux résidus d’antibiotiques présents dans les eaux usées proviennent des systèmes d’agriculture intensive. Trouver un moyen de recycler l’azote et d’éliminer les résidus d’antibiotiques de l’eau permettra de résoudre de nombreux problèmes, tels qu’une meilleure utilisation de l’énergie et un cycle alimentaire plus efficace. L’informatique quantique peut jouer un rôle dans ce processus. Une nouvelle génération de matériaux et de processus biologiques, eux-mêmes particulièrement complexes, devra être développée, et l’informatique quantique pourra être utilisée pour aider à comprendre ces processus. L’informatique quantique peut par exemple aider à concevoir un matériau capable de piéger des résidus d’antibiotiques ou de reproduire les processus d’attachement des médicaments. Avec les méthodes actuelles, la conception et l’essai de ces matériaux peuvent prendre de nombreuses années, mais l’utilisation de l’informatique quantique peut contribuer à l’élaboration de solutions concrètes pour le développement en coopération avec GESDA. En ce qui concerne le recyclage de l’azote, l’informatique quantique peut entreprendre les nombreux calculs nécessaires à la modélisation des réactions et des processus biologiques complexes impliqués.
Le recyclage de l’azote et des antibiotiques peut être très bénéfique pour l’environnement et la santé humaine et animale, en utilisant moins de ressources et en polluant moins. Les questions en jeu sont également multisectorielles et si l’étude des résidus d’antibiotiques dans l’agriculture constitue la prochaine étape du développement, elle nécessitera la participation des ministères de la Santé et de l’Agriculture.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP), remerciant M. Alabaster pour sa présentation, dit qu’il est essentiel de traduire les concepts exposés précédemment en applications pratiques au niveau local afin d’impliquer ces communautés en conséquence, de sorte qu’elles puissent être un moteur du changement.
Mme M. Hood (Directrice exécutive, Translation d’Impact, GESDA) fait remarquer que l’objectif de l’Institut ouvert de technologie quantique est d’explorer les applications de l’informatique quantique qui contribueront à la réalisation des objectifs de développement durable. La gestion et la qualité des eaux usées est l’une des questions qui a été soulevée conjointement par GESDA et ONU-Habitat. Les approches inspirées du calcul quantique peuvent également contribuer à l’optimisation de la logistique, notamment la distribution de l’aide, et à la sécurité alimentaire, en évaluant ce qu’il convient de cultiver dans quelles zones.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP) dit qu’il est important de veiller à ce que l’informatique quantique puisse être déployée efficacement, notamment dans les régions du monde où elle marquera une réelle avancée et où les ressources en eau actuelles sont soumises à d’énormes pressions. Il demande quelles mesures peuvent être prises pour garantir un transfert adéquat des connaissances dans ces domaines, et s’assurer que la technologie n’est pas contrôlée par les grandes industries, notamment les fabricants d’engrais qui ne voudront pas qu’une telle technologie soit développée.
Le Dr G. Alabaster (Chef du Bureau de Genève, ONU-Habitat) estime que des mesures doivent être prises à tous les stades, dès le début. ONU-Habitat implique des partenaires de différents pays pour s’assurer que les connaissances sont partagées aussi largement que possible. Il n’y a cependant aucune raison pour que de tels systèmes ne puissent pas être développés dans d’autres régions. Par exemple, le Kenya est le premier pays à avoir développé les services bancaires par téléphone mobile via le système M-PESA, avant tout le monde. Il est logique de supposer que les projets de développement se déploieront dans des lieux où la demande est la plus forte, notamment où le besoin de réutiliser les eaux usées est le plus important ou bien là où d’énormes sommes d’argent sont dépensées pour les engrais. En tant qu’agence des Nations Unies, ONU-Habitat doit veiller à ce que les informations sur les avancées technologiques et les règles fondamentales d’utilisation soient partagées dans le cadre d’une plateforme ouverte afin d’empêcher la détention de brevets sous quelque forme que ce soit.
M. D. Naughten (Président du Groupe de travail sur la science et la technologie de l’UIP) affirme que les mécanismes proposés sont particulièrement innovants, car ils offrent la possibilité de réutiliser et d’assainir l’eau, mais aussi de produire les protéines dont le développement humain a besoin et d’améliorer la qualité globale de l’air.
M. M. Omar (UIP) demande s’il existe des études de cas relatives à la gestion des eaux usées dont les résultats ont été démontrés et qui pourraient être partagées et proposées aux parlementaires, et si la législation est effectivement utile à cet égard. Il demande par ailleurs s’il existe un besoin particulier de réseaux parlementaires pour aider à combler les carences de la législation, et s’il existe un cadre législatif qui pourrait servir de modèle.
Le Dr G. Alabaster (Chef du Bureau de Genève, ONU-Habitat) explique que les règles de l’OMS en matière de réutilisation des eaux usées sont extrêmement strictes. Dans l’exemple de la Jordanie, qui utilise environ 94 % de ses eaux usées, il existe une législation particulièrement efficace et un système qui promeut la réutilisation de l’eau. La législation jordanienne est également mieux adaptée au contexte local que les normes de l’OMS. Des exemples provenant de différentes régions du monde peuvent être utiles, mais ils doivent être applicables au contexte et aux besoins locaux, qui peuvent ou non nécessiter des normes aussi strictes que celles établies par l’OMS.
L’application effective de la législation applicable aux eaux usées et à la pollution est toutefois extrêmement difficile. Les communautés ont d’énormes possibilités de s’impliquer davantage. Ce sont généralement les plus pauvres qui voient leurs ressources en eau affectées par la pollution industrielle. Il est essentiel de mettre en place des initiatives pour impliquer les communautés et les guider dans la manière dont elles peuvent jouer un rôle dans la surveillance de l’environnement local. ONU-Habitat est prêt à apporter son soutien aux pays et aux gouvernements dans ce domaine.
M. M. Omar (UIP) demande s’il existe des incitations spécifiques pour que les pays utilisent ces technologies appliquées et cette propriété intellectuelle dans le cadre de projets liés à la gestion des déchets, et si des recherches scientifiques plus ciblées sont nécessaires dans le domaine de l’eau.
Le Dr G. Alabaster (Chef du Bureau de Genève, ONU-Habitat) fait remarquer que le monde entier a tendance à adopter les solutions de haute technologie les plus récentes pour la gestion des eaux usées, alors qu’en fait, cette méthode n’est pas toujours la plus appropriée pour de nombreux pays. Il reste beaucoup à faire pour développer des solutions fondées sur la nature, telles que le traitement des eaux usées, notamment si l’objectif est de traiter les eaux usées pour les réutiliser ensuite dans l’agriculture. Les solutions axées sur la nature peuvent s’avérer rudimentaires, mais sont biologiquement complexes. Il est possible d’optimiser considérablement la gestion des problèmes de pollution et des problèmes climatiques, tels que la gestion des eaux pluviales et des inondations.